Devant la multiplication des gins d’ici et leur popularité grandissante, la recherche se mobilise pour que voie le jour une culture locale des baies de genièvre.
En 2021, sur 167 gins québécois vendus à la Société des alcools du Québec, 29 seulement portaient la mention Origine Québec, qui certifie que les produits sont faits d’ingrédients exclusivement locaux. Cette contradiction, Maxim Tardif l’avait déjà relevée en 2011, à l’arrivée du premier gin local sur les tablettes. Ce codirecteur de l’innovation et du transfert de technologie pour les produits forestiers non ligneux chez Biopterre, un centre de recherche affilié au Cégep de La Pocatière et à l’Institut de technologie agroalimentaire du Québec, compte bien corriger la situation.
« À l’époque, j’avais remarqué que la baie de genièvre utilisée dans ce gin était importée des Balkans alors qu’elle pousse au Québec à l’état sauvage. Pour un produit qui se vantait d’employer des aromates du terroir québécois, c’était un non-sens », raconte cet adepte de la consommation locale. Essentielles à la fabrication d’un gin, 90 % des baies de genièvre dont se servent les distilleries d’ici sont importées d’Europe. Et pour cause : aucun producteur du fruit aromatique n’existe actuellement en Amérique du Nord.
Il y a bien 10 % de ces baies qui sont cueillies dans la nature. Mais cela ne représente pas une solution pour l’ensemble des distilleries du Québec, pense Maxim Tardif. Le genévrier pousse dans des milieux hostiles, où peu de plantes parviennent à s’établir, notamment à flanc de falaise sur les bords du fleuve Saint-Laurent.
« En huit heures de cueillette, vous récolterez peut-être un litre de baies, ce qui n’est pas efficace si vous en avez besoin de plus d’une tonne », plaide de son côté Joël Pelletier, cofondateur de la Distillerie du St. Laurent, à Rimouski. De plus, ces milieux sont sensibles au piétinement et difficiles d’accès, même si « les entreprises qui effectuent les récoltes ont généralement une éthique de cueillette très stricte », souligne Sam Chaib, coordonnateur de l’Association pour la commercialisation des produits forestiers non ligneux (ACPFNL).
De ces constats a germé l’idée d’une culture du genévrier adaptée au sol québécois. Le projet est lancé en 2017 par Biopterre en collaboration avec plusieurs acteurs de la région du Bas-Saint-Laurent. Deux objectifs sont initialement au menu. D’abord, mettre au point un protocole de multiplication du genévrier à partir des espèces indigènes : Juniperus communis et Juniperus horizontalis, les plus répandues dans le Bas-Saint-Laurent. Ensuite, tester la qualité aromatique des baies sauvages et comparer le résultat avec les produits élaborés à partir des baies importées.
Franchies avec succès, ces deux étapes ont permis au projet de passer à la vitesse supérieure en 2019. Huit producteurs agricoles du Bas-Saint-Laurent ont été sélectionnés pour accueillir des plants de genévriers en pleine terre. Et comme les données scientifiques sont maigres concernant la culture de ce conifère utilisé surtout comme plante ornementale, l’équipe de Biopterre a préféré explorer plusieurs options. Par exemple, « même si la littérature indique que le genévrier en Europe aime moins les sols argileux, on a quand même testé la plantation dans ce type de sol », mentionne Béatrice Perron, professionnelle de recherche dans l’équipe.
Récolter dans 10 ans
Se lancer dans une telle aventure en partant de zéro n’est pas sans risque. Le genévrier, dont la croissance est lente, ne serait mature qu’à partir de cinq à sept ans. Ensuite, les cônes (qu’on appelle baies à tort) mûrissent sur l’arbre pendant trois ans. « On a de 7 à 10 ans de travail avant d’arriver à une production digne de ce nom », prévient Maxim Tardif. Le rendement en champs sera donc décisif pour la viabilité du projet à long terme.
De nombreux facteurs pèsent dans la balance. « Avec les quatre années de sécheresse consécutives qu’a connues la région, l’irrigation est essentielle pour l’enracinement des jeunes plants, mais difficile dans les sols légers et bien drainés que les genévriers préfèrent », expose Béatrice Perron.
Pour Sam Chaib, de l’ACPFNL, adapter une plante sauvage à une culture agricole en champs est un défi en soi. « Les principes actifs de la plante, qui lui donnent son goût, sont souvent plus importants en milieu hostile, car la plante est stressée. Est-ce qu’une fois domestiquée la plante deviendra fainéante et perdra certaines de ses qualités ? » La question reste ouverte.
Si le projet de Biopterre est un succès dans quelques années, l’ACPFNL veut être prête à soutenir les producteurs motivés à entreprendre cette culture. L’Association travaille actuellement sur un plan stratégique à l’échelle de la province afin d’étudier la viabilité d’une telle culture et de favoriser le transfert des connaissances. Et quand on lui demande si ce n’est pas trop tôt pour entamer une telle démarche, le coordonnateur répond que « le meilleur moment pour planter un arbre, c’était hier ».
Les baies sauvages demeurent un incontournable pour les microdistilleries qui proposent des produits fins, comme c’est le cas de la Distillerie des Marigots, en Gaspésie. Pour son fondateur, Joseph Boulanger, il est hors de question de s’approvisionner outre-mer. « Douze des 14 aromates que j’utilise viennent du terroir gaspésien, les autres du reste du Québec », signale-t-il avec fierté. Si les baies sauvages de Gaspésie venaient à manquer, se fournir dans le Bas-Saint-Laurent serait une option intéressante pour ce passionné qui caresse aussi l’idée d’implanter la culture du genévrier en Gaspésie.
Publié dans le magasine Québec Science de mars 2022, disponible ici
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