top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurRachel Hussherr

La revanche des fleurs invisibles

Il n’y a pas que le physique qui compte, même pour les fleurs. Deux chercheurs montréalais ont validé une hypothèse avancée par Darwin il y a plus de 150 ans.



Pour assurer leur succès reproducteur, certaines plantes à fleurs sacrifient la beauté pour l’efficacité, ou, du moins, en partie. Ces plantes, dites cléistogames, produisent deux sortes de fleurs : les classiques — celles qui sentent bon et qu’on admire à la belle saison — et les autres, des « avortons » qui ne s’ouvrent jamais. Ces fleurs passent inaperçues aux yeux non seulement des humains, mais aussi des pollinisateurs. Et pour cause : elles sont destinées à s’autoféconder.


Une hypothèse propose que cette cléistogamie se trouverait surtout chez les plantes dont les fleurs possèdent un seul axe de symétrie ; gauche-droite, par exemple, comme chez les orchidées. Pareil postulat avait été formulé à l’époque par nul autre que Charles Darwin… et a été validé plus de 150 ans plus tard par deux chercheurs montréalais : Simon Joly, affilié au jardin botanique de Montréal et à l’Université de Montréal, et son confrère Daniel Schoen, de l’Université McGill.


En effet, l’analyse d’une vaste base de données sur les plantes à fleurs a permis aux deux scientifiques de montrer qu’au cours de l’évolution, la cléistogamie est apparue presque quatre fois plus souvent chez les plantes ayant des fleurs à un seul axe de symétrie que chez leurs consœurs dont les fleurs présentent plusieurs de ces axes, telles les roses. Les chercheurs ont publié leurs résultats dans la revue Current Biology en avril dernier.


Mais pourquoi diable se compliquer la vie à faire deux types de fleurs ?


C’est qu’une plante investit beaucoup d’énergie à se parer d’élégantes fleurs, surtout pour attirer des pollinisateurs. Or si, pour une raison ou une autre, ceux-ci ne se présentent pas au moment fatidique, la reproduction est alors un échec. Toute cette énergie aura été investie pour rien… Certaines plantes ont développé la cléistogamie comme façon de contourner ce risque; une «assurance-reproduction», en quelque sorte. Ces petites fleurs qui se fécondent elles-mêmes garantissent la production de graines, même en l’absence de pollinisateurs.


Produire ces «avortons» serait une stratégie particulièrement payante chez les plantes dotées de fleurs à symétrie simple, qui partent plus souvent avec une longueur de retard. D’abord parce que l’autofertilisation de leurs «vraies» fleurs est plus difficile: «Les étamines sont plus éloignées du pistil, ce qui diminue les chances de fécondation sans pollinisateur», explique Simon Joly. Ensuite parce que la morphologie de ces fleurs nuirait également à la fécondation par les pollinisateurs. Leur forme en tube, par exemple, complique l’accès aux animaux butineurs : ils ne peuvent y atterrir comme ils le feraient sur les pétales ouverts d’une rose.


On trouve de telles plantes en sol québécois ; pensons à l’impatiente du cap ou aux violettes. Elles font d’ailleurs partie des 2 523 espèces sélectionnées pour le projet grâce à GenBank, une plateforme de données ouvertes qui regroupe tous les codes génétiques publiés dans la littérature scientifique, qu’il s’agisse de celui de la levure ou de l’ours polaire, ou, bien sûr, de celui des plantes à fleurs.


Une autre étape du processus consistait ensuite à reconstruire la généalogie des plantes sélectionnées à partir de leur code génétique, afin de déterminer les liens de parenté les unissant. Une étape essentielle pour les chercheurs qui leur a permis d’estimer le nombre de fois où la cléistogamie est apparue de façon distincte au fil de l’évolution des plantes à fleurs.


C’est ainsi que les deux biologistes ont calculé qu’une plante munie de fleurs à symétrie simple a cinq fois plus de chance d’être cléistogame qu’une plante dont les fleurs ont plusieurs axes de symétrie. Et un point de plus pour Darwin, qui avait fait cette observation à partir d’une douzaine de plantes à fleurs seulement !

 

Publié le 6 janvier 2022 dans le magasine Québec Science, dans le cadre des 10 découvertes de l'année 2021, ici

9 vues0 commentaire
bottom of page